L’innovation est sur toutes les lèvres. Source de valeur, levier de croissance et de différenciation, elle doit permettre aux PME d’affronter en position de force la concurrence internationale. Encore faut-il savoir la susciter dans des entreprises qui ne savent pas toujours comment s’y prendre. En France, la culture de l’innovation reste un point faible. C’est l’une des analyses apportées dans le cadre du colloque intitulé "Entrepreneurs, innovons ensemble avec l’enseignement supérieur", organisé le 5 octobre dernier par le Conseil économique, social et environnemental régional Rhône-Alpes.
C'est un constat devenu habituel : la France ne brille pas par sa culture de l’innovation, même si elle ne manque pas de très bons labos. C’est que l’innovation n’est pas que technologique et ne se mesure plus seulement à l’aune du nombre de brevets déposés. On parle désormais autant d’innovation d’usage que de potentiel de recherche-développement.
Défaut de culture, donc, dont les racines sont sans doute à rechercher du côté de l’éducation. "En France, l’initiative et la créativité ne sont pas suffisamment mises en avant depuis le système scolaire jusque dans les entreprises. La stigmatisation fréquente de l’échec dans notre pays est clairement peu propice à l’audace, indispensable à tout projet d’innovation (1)." Et encore : "La France se caractérise par l’importance du poids du diplôme acquis en formation initiale. Un tel système (…) ne laisse que peu de place à des parcours atypiques, à des profils hors norme, pourtant souvent les plus à même d’apporter un nouveau souffle dans l’entreprise et, par conséquent, les plus susceptibles d’y générer créativité et innovation (1)." Un intervenant au colloque du Ceser allait dans le même sens : "L’innovant est plutôt un rebelle. Or, ce qu’on nous apprend, à l’école, c’est à être sage, sérieux, conforme ; on nous explique que c’est comme cela qu’on ira loin."
Cette façon de mal vivre ou même de sanctionner l’échec, pourtant vécu dans d’autres pays comme une expérience utile voire indispensable, se retrouve dans la mentalité et le style de management français, plus gestionnaire qu’innovant. "Habitués à minimiser les risques, à préserver la bonne marche de l’organisation et à serrer les coûts, les dirigeants ont ainsi parfois des difficultés à ouvrir les espaces nécessaires à la créativité (1)." Dommage, car le dirigeant apparaît comme la clé de voûte de l’innovation dans l’entreprise. Celui qui devrait créer et cultiver l’état d’esprit nécessaire, savoir mobiliser les équipes dans cet objectif. C’est ce qu’explique Jean-Charles Potelle, patron de l’entreprise textile Boldoduc, par ailleurs président du pôle de compétitivité Techtera et d’Unitex Lyon : "La première démarche, c’est de donner l’envie de l’innovation, à tous les niveaux de l’entreprise. Expliquer que demain, on fera différemment d’aujourd’hui, donner envie aux équipes d’apprendre à évoluer. C’est un état d’esprit, un climat d’ouverture. Et cet enthousiasme, c’est le dirigeant qui doit le porter." Elisabeth Ducottet, Pdg de la société stéphanoise Thuasne, confirme : "L’innovation, c’est un choc. Le rôle du dirigeant, c’est donc de créer les conditions qui permettent à ce choc de se réaliser, même si les équipes ne sont pas toujours prêtes ni volontaires. Chez Thuasne, nous avons ainsi créé des binômes ingénieur / marketeur, parce que ce n’est plus la seule technologie qui doit primer. Avant, on vendait ce qu’on savait faire ; maintenant, on doit produire ce que les clients veulent."
Dépassé, le taylorisme. Dans l’entreprise, l’heure n’est plus à la subordination pour réaliser une tâche dictée d’en haut ; place à la coordination des équipes pour mieux innover. Alors, l’innovation, ça s’apprend et ça s’organise ? Sans aucun doute ! C’est l’avis de Paul Millier, responsable Management de l’innovation à EMLyon, qui fait un parallèle entre l’innovation et le sport : "Dans un match de foot, on ne sait jamais si on va marquer un but ni quand on va y arriver. Mais pour le faire, il faut s’entraîner, se préparer, travailler ses compétences. L’innovation, c’est la même chose."
Propre à l’entreprise, impulsée par son dirigeant ou son équipe de direction, l’innovation n’en est pas pour autant un exercice solitaire : elle est un challenge qu’on doit porter à plusieurs. Aller chercher les compétences là où elles se trouvent, pour aller plus vite dans le développement de nouveaux produits : c’est l’innovation dite collaborative, poussée à son expression la plus aboutie dans les pôles de compétitivité dont la raison d’être est de développer et de financer des programmes collectifs. D’où l’importance d’un environnement économique de qualité, de la présence sur le territoire de labos, d’organismes de recherche et d’entreprises leaders. Bref, d’un écosystème d’innovation performant (1). Dans ce domaine, Rhône-Alpes est plutôt très bien loti. Claude Ricaud, directeur Innovation chez Schneider, rappelle pourquoi le groupe a choisi la région grenobloise pour installer son campus de l’innovation : "Deux raisons ont fait pencher notre décision en faveur de Grenoble. D’abord la présence de clients, comme Soitec par exemple, très exigeants sur la qualité de l’énergie qu’ils consomment et qui nous poussent à l’excellence. Ensuite, des compétences locales de “top niveau mondial”. Quand on travaille sur une technologie nouvelle, on peut trouver à Grenoble tous les partenaires utiles. Universités, labos, écoles d’ingénieurs, start-up, entreprises high tech, etc. concourent tous à l’amélioration de nos connaissances. Ce potentiel impressionne tous les étrangers qui visitent la région. Et ce dynamisme s’autoentretient : dans les labos et les entreprises, on peut ainsi attirer et retenir les meilleurs éléments."
Mais cet écosystème n’est pleinement efficace que s’il parvient à abattre les barrières entre les uns et les autres. Ce qui n’est pas une évidence, comme l’explique Marc Le Gal (Lyon Science Transfert) : "Certes, de plus en plus de chercheurs souhaitent voir le résultat de leurs travaux s’appliquer dans la vie quotidienne. Mais les deux mondes subsistent : d’un côté, la sphère académique où le chercheur est, le plus souvent, mû par sa seule curiosité ; de l’autre, le monde industriel qui raisonne concurrence et rentabilité. La difficulté est de les faire se rencontrer."
Didier Durand
(1) Ceser Rhône-Alpes : "Optimiser les écosystèmes d’innovation", décembre 2010.
Photo : ©Lisa Airplanes
Magazine Entreprises Rhône-Alpes (N° 1507 – Nov./Déc. 2011)
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