Après avoir été chef d’entreprise dans des domaines aussi différents que la mécanique, la distribution de produits pétroliers, la presse ou encore les articles de puériculture, Dominique Favario préside aujourd’hui Savoie Angels. Et milite pour développer l’investissement de proximité dans des entreprises innovantes.
Entreprises Rhône-Alpes > Le mouvement des business angels monterait en puissance, en France… vous confirmez ?
Dominique Favario > Dans l’Hexagone, l’investissement privé dans les PME est très faible : on compte quelque 8 000 business angels… quand il y en a 265 000 aux Etats-Unis ! L’association France Angels a été créée il y a dix ans seulement. Et la loi Tepa a fait beaucoup pour stimuler l’investissement dans les entreprises. Au début, les business angels étaient seuls ou travaillaient à plusieurs comme une bande de copains. Désormais, des associations d’investisseurs se développent, afin de professionnaliser leurs interventions en entreprises. C’est le cas de Savoie Angels.
ERA > Et vous pensez que la crise financière va accentuer ce mouvement ?
D. F. > Bien sûr. Pendant longtemps, une bonne gestion d’actifs familiaux se devait d’être diversifiée, suivant l’évolution de son patrimoine : d’abord on achetait sa maison, puis éventuellement un appartement en Scellier qu’on mettait en location, ensuite on plaçait son argent dans un fonds, puis dans une maison secondaire et enfin on achetait des actions. Depuis 2008, cette logique a volé en éclat : l’investissement immobilier est devenu très onéreux et n’est pas garanti, les fonds en euros reposent en partie sur des obligations d’Etats insolvables, la Bourse est au fond du trou. Bref, il n’y a plus de placement sûr. Et il n’est pas plus risqué d’investir dans des PME locales qu’ailleurs.
ERA > Quel est donc l’intérêt d’investir dans une entreprise régionale, qui plus est innovante ?
D. F. > On en connaît personnellement le dirigeant, les produits, les sites de production Votre argent prend du sens : vous participez à la création d’emploi sur votre territoire, à la dynamique économique régionale. A travers l’investissement dans une entreprise locale que vous connaissez, vous êtes acteurs de votre investissement. C’est un engagement socialement responsable !
ERA > Les détenteurs de patrimoine sont-ils vraiment sensibles au territoire ?
D. F. > Pas assez, certes. En fait, beaucoup de gens (professions libérales, médecins, etc.) méconnaissent le monde de l’entreprise qui n’a d’ailleurs pas toujours une très bonne image. Notre rôle est aussi celui diffuser une certaine culture de l’entreprise. Il nous faut les convaincre de jouer un rôle sociétal en plaçant une partie de leur patrimoine dans les entreprises locales.
ERA > Vers quelles entreprises se portent les investissements de Savoie Angels ?
D. F. > Nous nous intéressons aux entreprises à potentiel de développement et, en particulier, aux jeunes entreprises. Nous intervenons dans tous les secteurs d’activités, au moment de l’amorçage, cette phase où le produit de l’entreprise n’est pas encore tout à fait au point, et où elle manque de soutiens financiers. Mais la proximité est primordiale : les entreprises doivent être dans un rayon d’une heure de route, de façon à ce que nous puissions monter une réunion avec la direction en une demi-journée. Mais le plus important, pour suivre un chef d’entreprise, c’est la confiance qu’il nous inspire : c’est elle qui va guider notre relation.
ERA > Vous n’êtes pas des mécènes. Il vous faut donc un retour sur investissement.
D. F. > La rentabilité n’est pas un préalable à notre intervention. Nous savons bien que les business plans ne se réalisent jamais. Mais nous pouvons définir un pacte d’actionnaires définissant des règles lorsque certains objectifs ne sont pas atteints. Le but est de rester entre cinq et sept ans au capital d’une entreprise. Le retour sur investissement ? Il traduit aussi la rentabilité de l’entreprise et donc l’intérêt de toutes les parties. Il faut aussi savoir que le financement de l’amorçage est risqué, avec un taux d’échec qui peut atteindre 30 à 40 %. Les pépites devront, bien sûr, compenser les pertes subies par les échecs.
ERA > Finalement, qu’apportez-vous de plus à l’entreprise qu’un financier classique ?
D. F. > Notre apport n’est pas que financier. En tant que chefs d’entreprise ou qu’anciens chefs d’entreprise, nous accompagnons le dirigeant, nous lui ouvrons un réseau de professionnels qui va considérablement l’aider dans la définition de sa stratégie.
ERA > Intervenez-vous dans la gestion de l’entreprise ?
D. F. > Seulement à la demande de l’entrepreneur. Mais il n’est pas question de nous substituer à lui. Nous lui apportons seulement de l’aide et des conseils : il a la tête dans le guidon et nous, nous avons un certain recul. Mais de toute façon, au sein du capital, nous sommes généralement minoritaires et notre avis n’est que consultatif. Dans les faits, notre implication est plus ou moins forte, en fonction de la situation de l’entreprise et de la personnalité du dirigeant.
ERA > Combien de dossiers traitez-vous chaque année ?
D. F. > En ce qui concerne Savoie Angels, qui regroupe 160 membres, nous recevons une centaine de dossiers chaque année. Ils passent par un comité d’études. Nous en retenons une dizaine. En 2011, nous aurons ainsi investi plus d’1,6 million d’euros : à la fois individuellement ainsi qu’à travers les fonds d’investissement créés par Savoie Angels. Ce montant est souvent complété par d’autres associations de même nature, comme Grenoble Angels par exemple. Le co-investissement devient d’ailleurs quasi systématique ; il a l’avantage de démultiplier les apports en fonds propres en faveur de l’entreprise.
ERA > Les pouvoirs publics vous semblent-ils assez sensibilisés aux besoins de financement de l’innovation ?
D. F. > Les besoins sont énormes, c’est sûr. Mais il faut reconnaître qu’en Rhône-Alpes, ça fonctionne plutôt bien. Oséo, la Caisse des Dépôts, la Région, la Direccte et d’autres acteurs financiers forment un bon réseau de soutien à la création d’entreprise et à l’innovation, auquel nous collaborons.
ERA > Vous croyez vraiment à l’avènement d’un capitalisme local porté par des business angels ?
D. F. > J’en suis persuadé : nous sommes au début d’une nouvelle époque. La crise des banques va nécessairement resserrer le crédit, pousser à la réduction de leurs engagements : les entreprises et les collectivités en font déjà l’expérience et ça va continuer. Les fonds de capital-risque sont eux aussi appelés à diminuer : les investisseurs institutionnels ne les réapprovisionnent plus. Bref, le système bancaire a ses propres problèmes qu’il devra régler. Le financement privé et local, que nous représentons, va prendre une nouvelle dimension.
ERA > Soyons réaliste : la puissance de cet argent privé est sans commune mesure avec celle du système bancaire.
D. F. > Détrompez-vous : si chaque foyer plaçait de la sorte 5 % de son patrimoine, la manne serait énorme. Nous n’avons pas toujours vécu dans le système financier actuel. Au début du siècle dernier, des banques locales ont été créées par des chefs d’entreprises et des industriels au service de l’économie locale : la Banque de Savoie, la Société Savoisienne de Crédit, la Banque Laydernier en Haute-Savoie ou encore la Banque Nicollet & Lafanechère à Grenoble, en sont de bons exemples. A cette époque, l’épargne était ainsi redistribuée sur le territoire. Nous ne réinventons rien.
Propos recueillis par Didier Durand
Magazine Entreprises Rhône-Alpes (N° 1507 – Nov./Déc. 2011)
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