Rencontre avec Guillaume Decitre qui nous parle de la mutation du marché du livre qui ouvre aussi la voie à des opportunités.
Dans le hall du siège de Decitre, la boîte à lire est installée depuis peu. Attirés par un “Approchez-vous, le livre de mord pas”, les lecteurs peuvent emprunter un ouvrage, gracieusement ; ils le reposeront un peu plus tard, ici ou dans une autre boîte à lire. Philanthropie et clin d’œil d’un libraire rhônalpin qui fait depuis longtemps de l’innovation son moteur. Et poursuit un parcours remarquable dans un secteur que l’on dit en crise.
En septembre 2008, Guillaume Decitre a 42 ans quand il revient de Californie, où il œuvre depuis dix ans dans le capital-risque et la création de start-up, pour reprendre, au pied levé, la tête de l’entreprise dirigée par son père, Pierre, tombé malade. Dans la famille, la fibre entrepreneuriale se transmet depuis plusieurs générations. Pierre donc, décédé en juillet 2011, avait implanté des librairies ailleurs qu’en centre-ville, en particulier dans des centres commerciaux (Saint-Genis-Laval, Ecully, Part-Dieu). Une idée saugrenue, à l’époque. Puis il avait été, en 1997, l’un des premiers à ouvrir une librairie sur Internet. Aujourd’hui, Decitre est aussi leader dans la vente de livres professionnels et s’est diversifié en proposant des bases de données de titres aux grands distributeurs comme Price Minister.
Pour Guillaume Decitre, qui abhorre “l’invraisemblable sinistrose française”, la mutation du livre ouvre aussi la voie à des opportunités. “N’oublions pas qu’un Français sur deux lit, en moyenne dix livres par an ; que 6 000 livres sortent chaque mois, un chiffre en croissance régulière ; et qu’Internet ne représente encore que 12 % des ventes de livres en France”. Alors Decitre adapte l’offre de ses librairies. Commander un livre via Internet et se le faire livrer en magasin, repartir avec un livre numérique téléchargé sur une tablette, faire une recherche sur Internet avec son libraire : de nouveaux liens naissent entre le lecteur et le livre, dont le nouveau concept de magasin Decitre à Lyon Confluence, inspiré des “Apple Store”, est le reflet. Après deux ans d’exploitation, il est rentable, comme les sept autres librairies de l’enseigne.
Le groupe lyonnais se déploie aussi en proposant son savoir-faire logiciel et sa logistique à des grands distributeurs. C’est le cas de Système U, doté désormais de sa e-librairie (U Culture). Il y a trois ans, Guillaume Decitre a également fondé la start-up TEA, comme The Ebook Alternative, qui loue aux distributeurs (Cultura, CDiscount, etc.), un système de lecture dit “ouvert” (utilisable sur tous types de terminaux, non censurable), doté d’applis universelles. TEA emploie aujourd’hui seize personnes pour un chiffre d’affaires d’un million d’euros. Chez Decitre, qui présente cette initiative comme une arme contre la toute-puissance d’Amazon, le livre n’est pas en crise. Il est en lutte.
Didier Durand
Decitre
Huit magasins : cinq en région lyonnaise, un à Annecy, un à Chambéry et un à Grenoble.
Finadvance et Esfin (Crédit Coopératif) détiennent 60 % du groupe qui emploie 350 personnes et affiche 70 millions d'euros de chiffre d'affaires (53 millions d'euros en 2007), pour un résultat net d’1 million d'euros.
Photo : ©Michel Djaoui. Guillaume Decitre.
Bref Rhône-Alpes n° 2169 du 23/07/2014
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