Emmanuelle Perdrix incarne la troisième génération de dirigeants à la tête de l’entreprise familiale Rovip, à Chavannes-sur-Suran (Ain). La petite fille “étrangère” au monde industriel est aussi patronne du syndicat régional des plasturgistes.
La direction financière ? Une femme. La direction commerciale ? Une autre femme. La qualité et les ressources humaines ? Des directrices encore ! “Mon comité d’entreprise dit que chez Rovip, c’est la parité à l’envers”, ironise la Pdg de ce spécialiste de l’injection thermoplastique. Le management au siège du groupe tranche singulièrement avec le pouvoir masculin dominant dans la plasturgie française.
Pourtant cette réalité a longtemps été celle de Rovip. Au départ de cette saga familiale, un homme : Marius Rollet, grand-père d’Emmanuelle. Il fonde, en 1946, une entreprise d’abord spécialisée dans le bois, avant d’opérer une mutation vers l’injection plastique. Son fils, Marc, et ses gendres, Christian Vimont et Pierre Perdrix, le rejoignent et lui succèdent en 1974, en créant Rovip, à Chavannes-sur-Suran. Pierre en prend les commandes. L’enfance et la jeunesse d’Emmanuelle, sa fille, se déroulent dans un paisible village proche, épargné par le fracas des machines. “Mes trois frères et moi n’avons pas été formatés par l’entreprise. Nous savions que papa la dirigeait, qu’elle appartenait à la famille. Il arrivait qu’on le voyait soucieux, parler des difficultés”, se souvient l’héritière. Mais Pierre Perdrix avait une façon très personnelle d’en détourner ses enfants en leur déclarant : “Tant que j’y serai, vous n’y serez pas !” Façon de leur faire comprendre que rien n’était acquis par avance. Que la place se méritait.
Studieuse, après le lycée, Emmanuelle Perdrix réussit une maîtrise de mathématiques appliquées aux sciences sociales à l’Institut d’administration des entreprises de Lyon 1, suivi d’un troisième cycle à l’Ecole supérieure de commerce et d’industrie de Bourg-en-Bresse. Sortie major de sa promotion, la jeune femme est repérée par Jean-Patrice Bernard, pdg du groupe éponyme spécialisé dans la vente automobile et poids lourds. C’est dans cette dernière branche, très masculine, qu’Emmanuelle exercera pendant cinq ans le contrôle de gestion. Les portes d’une belle carrière dans un groupe en plein essor lui sont ouvertes. Mais l’atavisme familial est plus fort. En 1999, elle prend la décision “non sans hésiter”, d’intégrer Rovip, pour y importer une petite révolution, le contrôle de gestion, grâce auquel tout ce qui concourt à la fabrication d’une pièce plastique est compté.
Emmanuelle Perdrix apprend vite, elle reconnaît être impatiente. Quatre ans après son arrivée, en 2003, l’héritière est propulsée à l’âge de 32 ans “pdg” de l’entreprise familiale, avec son père, ses frères, un oncle et une tante, parmi les actionnaires et administrateurs. “Pas toujours évident de distinguer la vie familiale de celle de l’entreprise”, admet la dirigeante.
Chez Rovip, la notion de service au client est essentielle. “Les femmes sont plus à l’écoute que les hommes, affirme Emmanuelle Perdrix. Nous faisons preuve d’une plus grande rigueur. Nous ne nous contentons pas de faire. Nous voulons aussi savoir comment on a fait, ce que cela apporte”.
Si le client aime se sentir écouté, il apprécie aussi d’avoir un interlocuteur qui parle technique. Sur ce point, le pdg de Rovip reconnaît que le management féminin pêche un peu comparé aux hommes. Emmanuelle Perdrix s’appuie donc sur un staff technique masculin performant en qui elle a pleine confiance.
Inspirée par le management social de son père (chef d’entreprise chrétien et militant de gauche), la Revermontoise dirige son groupe dans l’optique de créer de la valeur avec la participation des salariés. Pourtant, ses premières années à la direction l’ont mise à l’épreuve. L’entreprise a été contrainte de fermer un atelier et de licencier pour continuer son activité. “Tous les matins, je me levais avec la pression de devoir tout faire pour nous en sortir”.
Rovip s’est relevé. Sa patronne a accusé physiquement le coup pendant un an. Mais ce traumatisme l’a rendue plus forte : “Je suis convaincue que collectivement, on peut toujours s’en tirer”.
Le sens du collectif, Emmanuelle Perdrix l’éprouve aussi à la tête du syndicat Alizée plasturgie. Un engagement là encore inspiré par la fibre “bénévole” de son paternel. Porte-parole de quelque 400 industriels, à la contestation systématique elle préfère la négociation. Cette adepte de la danse rock, sait imprimer le bon tempo pour emmener ses interlocuteurs là où elle le veut.
Philippe Cornaton
Photo : ©P. Cornaton.
Bref Rhône-Alpes n° 2209 du 08/07/2015
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