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Baptiste Canazzi Codirecteur de Noetic Bees

Ce que n’est pas la disruption

Publié Le 20.03.2017 À 17H05
Ce que n’est pas la disruption

La « disruption » est d’abord un terme des milieux du marketing(1), qui désigne une méthode d’innovation qui vise à adresser des marchés en les reconfigurant à son avantage. La clé de cette méthode repose sur la radicalité des positionnements qui en découlent : une radicalité qui fait époque.

« Époque » vient du grec, epokhê, qui dit la « suspension ». Parler d’une radicalité qui « fait époque », c’est donc d’abord dire que cette radicalité consiste à remettre en question l’ensemble des acquis (objectifs et subjectifs) qui caractérisent une « manière de faire monde ensemble ». Par exemple : passer de systèmes Unix ou DOS à l’interface graphique de nos ordinateurs ; ou passer du smartphone avec des touches en plastiques au smartphone à écran tactile.

« Table rase » ?

Reste qu’il y a dans l’imaginaire de la disruption, l’idée qu’elle se distingue de l’innovation par le fait qu’elle n’est pas une « amélioration » de l’existant, mais une « remise à plat », fondée sur une volonté de faire « table rase ». Le philosophe ne manquera pas de s’amuser de cette théorie de la « table rase », souvent présente dans les écrits des empiristes(2) comme l’état initial de notre cerveau à la naissance, où nos sensations viennent « s’imprimer » en nous comme des coups de tampon. Or, cette théorie relève plus de l’expérience de pensée, sinon d’une métaphore, que d’une réalité constatée : elle n’a aucune base scientifique valable.

Le philosophe s’en amusera d’autant plus que la méthode disruptive s’inscrit dans un processus d’innovation : elle est une méthode d’innovation. On parle d’ailleurs en France d’innovation « de rupture ». Autrement dit, la question est moins de faire « table rase », que de questionner, d’interroger, en faisant « comme » si nous ne savions rien. En d’autres termes, la « disruption » contient en elle-même sa propre mythologie : comment interroger des usages en ignorant ce qui les a rendus possibles ? Comment penser l’avenir de ces usages, leurs mutations et les influencer, sans savoir d’où ils viennent ?

La disruption c’est aussi du marketing

Moins « table rase » que « suspension », la disruption pose moins la question de la « rupture » que celle de la « pertinence ». On s’étonnera, de fait, que les « disrupteurs » s’appellent d’eux-mêmes les « barbares », c’est-à-dire « ceux qui sont étrangers à la civilisation ». Car ne sont-ils pas, justement, ceux qui sont de plain-pied dans la civilisation ? Ceux qui, comme des poissons volants, sont capables de penser le monde qui vient, parce qu’ils sont de fins connaisseurs du monde qui passe ?

En conclusion, il ne faut pas oublier la dimension de marketing qui habite l’imaginaire de la disruption. Car elle n’est pas toujours possible : elle s’appuie souvent sur des innovations qui en constituent le terreau fertile, la précède et se compose comme le puzzle d’une époque à venir.

(1) Jean-Marie DRU, en 1993.

(2) Philosophes qui font de l’expérience l’origine de toute connaissance ou croyance.

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