Philippe Guérand, président de la CCI Auvergne Rhône-Alpes.
DF Corlin / CCIR
En ce début d'année, nous vous proposons une série d'interviews de décideurs économiques de la région sur leurs espoirs et visions pour 2024. En première ligne aux côtés des entreprises de la région, Philippe Guérand, président de la CCI de région Auvergne Rhône-Alpes, revient sur une année 2023 compliquée pour les entreprises qui ont dû faire face à une baisse de la consommation, combinée à des prix de revient en hausse, sans parler des taux d’intérêt. Un effet ciseau qui a pesé sur les marges et impose de rester vigilant en 2024.
Bref Eco : Comment résumer l’année économique 2023 ?
Philippe Guérand : L’un des premiers faits marquants, c’est la baisse de la consommation, de l’ordre de 5 % en volume. C’est quelque chose qu'on n’avait pas vu depuis très longtemps. Le 2e paramètre, ce sont les prix de revient, qui ont énormément augmenté sous la pression du coût des matières premières et de l'énergie. Il y a un effet de ciseaux qui a été un peu masqué pendant les 6 ou 9 premiers mois de l'année parce que l'inflation a pu être répercutée par les entreprises sur leurs prix de vente mais là on voit bien qu’on arrive au moment où le marché n'absorbe plus les augmentations. On atteint des plateaux de capacité d'absorption des hausses de prix de vente par le marché. Il faut ajouter aux deux premiers éléments le contexte de la hausse des taux d’intérêt. Je rappelle qu’en juillet 2022, le taux était à zéro. Aujourd’hui, le taux de la Banque centrale européenne est de 5 %. Du jamais vu !
Comment cela se concrétise-t-il pour les entreprises ?
P.G. : Les marges des entreprises sont tendues. Et il y a moins d’homogénéité qu'avant dans le tissu économique, c'est-à-dire que nous avons de grandes entreprises qui se portent très bien, on le voit avec le CAC 40, le SBF 120, et c'est une très bonne nouvelle. Je m'en réjouis parce qu'elles entraînent derrière elles les TPE, les PME. Mais il y a un écart qui grandit entre la situation des grandes entreprises et celle des TPE-PME… Et cela nous inquiète parce qu’il ne faut pas que le tissu se tende trop.
Craignez-vous une hausse des défaillances d’entreprises en 2024 ?
P.G. : Il y a beaucoup de sujets de retournement en 2023 et qui vont, à notre avis, se poursuivre en 2024 parce que l’on ne voit pas beaucoup de paramètres qui vont changer à part peut-être la fin de la hausse des taux d’intérêt. On observe déjà une hausse des défaillances des petites entreprises, notamment les petits commerces et la restauration.
Heureusement, en Auvergne Rhône-Alpes, nous arrivons globalement à amortir le choc grâce à notre industrie diversifiée
Et l’on voit arriver les entreprises du bâtiment. Il faut quand même dire que les ventes de logements neufs se sont arrêtées et qu’elles ne repartent pas. Et dans le bâtiment, il existe toujours un temps de latence de six à neuf mois entre les méventes et les difficultés de production. Or, on arrive dans cette zone de défaillances qui risque d’entraîner avec elle certains industriels car le bâtiment achète à l’industrie. Heureusement, en Auvergne Rhône-Alpes, nous arrivons globalement à amortir le choc grâce à notre industrie diversifiée.
Justement, comment se porte l’industrie qui bénéficie de soutiens publics importants avec les aides de la Région et des plans de relance de l’État.
P.G. : Certains secteurs industriels se portent bien, à l’instar de la pharmacie, des équipements électroniques ou encore de l’aéronautique qui a des carnets de commandes pleins. Mais il ne faut pas oublier que les industriels font face à une concurrence mondiale et qu’il devient de plus en plus difficile pour eux d’être compétitifs en France.
Quels sont les freins à la compétitivité de l’industrie française ?
P.G. : Il y a trois facteurs importants, en premier lieu desquels le prix de l’énergie. Si on peut se réjouir de la négociation française au niveau européen, qui a permis de revenir à des prix plus raisonnables, notamment sur l’électricité, cela reste quand même trois à quatre fois plus cher qu’aux États-Unis ! Et il faut ajouter le coût du verdissement de l’activité demandé aux industriels. C’est naturellement une nécessité, mais si nos grands concurrents mondiaux n’entament pas le même mouvement, la concurrence est déséquilibrée. Et enfin, les prélèvements obligatoires pèsent sur la compétitivité. Or la France vient de passer sur la première marche du podium selon l’OCDE.
En Auvergne Rhône-Alpes, notre industrie reste très forte, très diversifiée, mais il y a des sujets de vigilance qu’il va falloir surveiller en 2024 pour éviter la récession… Nous serons dans une croissance faible et nous ferons tout pour ne pas passer en dessous du point zéro.
Une bonne nouvelle quand même en ce qui concerne l’activité à l’international. Sur les neuf premiers mois de l’année, la hausse des exportations a été de l’ordre de + 2,3 % de chiffre d’affaires.
Quels sont les grands projets à venir pour la région ?
P.G : Nous soutenons le Lyon-Turin, l’implantation des deux EPR dans le Bugey et naturellement la candidature des Alpes aux Jeux Olympiques d’hiver de 2030. Ces projets vont donner de l’activité aux entreprises locales, tout en permettant de décarboner les transports et l’industrie. Ils vont peut-être permettre de compenser la baisse de la consommation globale…
Il faut envisager 2024 avec optimisme en Auvergne Rhône-Alpes. Nous avons la chance que Laurent Wauquiez, président de la Région, place l’action économique au cœur de sa stratégie. Avec le soutien indéfectible du Medef et de la CPME, l’ADN du réseau CCI repose sur le collectif fort et le travail en équipe avec la Préfète de région Fabienne Buccio et les services de l’État, et le partenariat privilégié avec la Région et ses agences, dont Auvergne Rhône-Alpes Entreprises.
Notre région est très forte, puissante et diversifiée et nous avons tous les moyens de nous en sortir, avec des chefs d’entreprise que j’admire énormément car ils ont une capacité de rebond, de résilience et d’innovation pour traverser la crise.
Propos recueillis par Corinne Delisle
Cet article est issu de notre hebdo n° 2564, à retrouver ici.