En 2006, le groupe Schneider Electric créait à Eybens, en région grenobloise, un centre mondial de recherche et développement pour sa division Power, baptisé Electropole. Ce campus de l’innovation regroupe aujourd’hui un millier de personnes dans 35 000 m2 de locaux censés rapprocher ingénieurs, techniciens, marketeurs, commerciaux, acheteurs et clients. Interview de Claude Ricaud, directeur Innovation.
Entreprises Rhône-Alpes > Qu’est-ce qui a guidé la création de ce centre hors du commun ?
Claude Ricaud > Auparavant, nos forces de R&D européennes étaient éclatées dans un grand nombre d’unités de petite taille, à Grenoble, Paris, Dijon, Angoulême... Il n’était pas toujours aisé de les faire travailler sur des sujets communs, pour un tas de raisons très concrètes, d’organisation en particulier. Or, cela devenait indispensable : les simples produits font place à des "solutions" intégrant différentes fonctions faisant appel à des compétences multiples ; de même, tous les produits sont devenus communicants et doivent pouvoir partager des informations. Un des enjeux de la recherche est désormais de rapprocher les équipes, les spécialités, les métiers. La meilleure façon d’y parvenir est de les regrouper dans un seul lieu d’une taille assez importante. Ce souci du décloisonnement se traduit dans l’architecture même d’Electropole : une avenue centrale sur laquelle donnent bureaux et labos, sur deux niveaux seulement, permettant ainsi de mieux communiquer et de faire circuler les idées, les chercheurs, les clients.
ERA > Mais le bâtiment n’est sans doute pas l’essentiel…
C. R. > Non, bien sûr. C’est un état d’esprit qu’il faut créer. Les équipes sont organisées en mode "projet" : les développeurs et marketeurs rejoignent une organisation projet à son démarrage mais passeront plus tard à un nouveau projet pour une autre famille de produits (auparavant, ils restaient dans la même ligne de produits), ce qui facilite les partages de savoir-faire entre ces différentes gammes. Par ailleurs, nous stimulons la création de brevets, à travers un système d’incitation financière récompensant les inventeurs. Et puis, nous ouvrons en grand notre centre à nos clients et aux visiteurs : ces contacts sont très importants pour nos équipes de développeurs.
ERA > Il faut donc dépasser la culture technologique qui est l’histoire même de Schneider.
C. R. > Les ingénieurs aiment montrer leur technologie. Mais le responsable marketing, lui, ne travaille pas dans cette optique. Il doit "penser client" pour vendre. Le challenge, est donc de faire en sorte qu’ils se comprennent mieux, qu’ils réfléchissent ensemble. Ce n’est pas simple. Mais il est désormais évident que la source de l’innovation n’est plus seulement technologique. Elle est aussi fortement influencée par l’évolution des usages, d’où l’importance de connaître les attentes des clients finaux. Exemple : les véhicules électriques dont la montée en puissance pose des questions nouvelles d’utilisation de la ressource énergétique (infrastructures, sécurité, simplicité) et demandera la mise en place de nouveaux services. Nous venons d’inaugurer, sur Electropole, un prototype de station qui doit permettre de recharger une batterie en dix minutes. C’est ce genre d’équipements qui facilitera le succès commercial du véhicule électrique.
ERA > Dans vos recherches, privilégiez-vous l’innovation de rupture ?
C. R. > On ne décrète pas l’innovation de rupture. Quand naît une idée, on ne sait pas si cela en sera une. L’innovation de rupture majeure de l’iPhone, par exemple, découle de trois éléments : une innovation d’usage, une innovation technologique (l’écran double touch, repris par tous les concurrents) et une innovation sur le modèle économique (Apple se rémunère sur une partie des consommations téléphoniques et la vente d’applications). Dans ce cas précis, l’innovation a rassemblé trois dimensions. Ce que des concurrents, dont la technologie était pourtant du niveau de celle d’Apple, n’ont pas réussi à faire.
ERA > Certains pensent que les grandes entreprises sont moins innovantes que les petites, d’où l’importance des start-up.
C. R. > C’est plutôt vrai mais il faut compléter l’analyse. Si les start-up innovent davantage, c’est qu’elles prennent plus de risques. Revers de la médaille : pour une start-up qui réussit, plusieurs dizaines d’autres disparaissent. De même, la jeune entreprise peut concentrer toutes ses forces sur l’innovation car elle n’a pas à s’occuper des systèmes existants chez des clients… qu’elle n’a pas encore. Pour un grand groupe leader, c’est très différent. Ses clients demandent qualité, pérennité et suivi des gammes antérieures. D’ailleurs, les clients ne sont pas toujours très enthousiastes à l’idée d’un produit de rupture qui leur demandera de trop changer. Le challenge, c’est donc d’allier les avantages de la start-up et la force d’un grand groupe.
ERA > Ou de susciter la création de start-up dans votre domaine ?
C. R. > Effectivement. Nous avons créé il y a quelques années Schneider Electric Venture, un fonds doté de 50 millions d’euros grâce auquel nous avons investi dans une trentaine de projets de jeunes entreprises pour, éventuellement, profiter d’une rupture technologique. Un deuxième fonds, Aster Capital, a été créé plus récemment, dans le même but, en collaboration avec Alstom afin d’élargir les domaines abordés. Dans ces start-up, nous restons toujours minoritaires… et si nous n’en avons jamais racheté aucune, nous avons beaucoup appris de nos collaborations.
Propos recueillis par Didier Durand
Magazine Entreprises Rhône-Alpes (N° 1507 – Nov./Déc. 2011)
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