Thierry Roche, architecte et urbaniste lyonnais, dans ses nouveaux bureaux de Zadiga Cité, à Lyon Confluence.
A.Razia
Construire la ville de demain, l’architecte et urbaniste lyonnais Thierry Roche s’y emploie depuis bien longtemps. Conjuguer qualité de vie et qualité du bâti, le tout dans une démarche globale de développement durable, voilà sa philosophie. Les performances environnementales et les techniques constructives ne sont rien si elles n’aboutissent pas à une ville agréable et durable. Thierry Roche, récemment installé au sein de Zadiga Cité, met l’homme au milieu de l’équation et invite ainsi les politiques et les promoteurs à partager la gouvernance urbaine.
Comment, dans votre métier, abordez-vous la notion de ville durable ?
Thierry Roche : Lorsque je demande aux gens ce que sera selon eux la ville demain, j’ai deux types de réponses : le scenario Mad Max d’une part et la ville végétale et aseptisée d’autre part. Il n’y a pas de vision positive et il y a confusion entre ville et vie. Or, la ville est le reflet d’un fait social à un moment donné. Quand je pose plus précisément la question du quartier rêvé, on me parle de ville bienveillante.
De ce fait, en tant qu’urbaniste, lorsque je travaille sur un quartier, je me renseigne en premier lieu sur la finalité politique de ce quartier : je cherche à savoir quelle vie on veut pour dessiner la ville qui va avec. On a pour cela besoin de gens qui ont une vision dans la durée. Et c’est assez rare. Les politiques n’ont plus vraiment de plan. Ceux qui en ont sont souvent dans les extrêmes : l’écologisme radical qui impose sans comprendre ou le transhumanisme où tout se situerait dans le métavers. Entre les deux, heureusement, une ville est possible.
Dans ces conditions, comment imaginez-vous le quartier urbain agréable à vivre et durable ?
T. R. : La ville durable n’est pas dans une codification stricte où tout serait maîtrisé. Il s’agit plutôt de créer des espaces où les habitants ont une action sur leur propre lieu de vie. Dans un nouveau quartier, on laisse des espaces vides pour générer des lieux de sérendipité ou des espaces de courtoisie qui seront coconstruits avec les habitants.
Nous l’avons fait par exemple dans le programme Oasis Parc à Lyon 8e. Nous avons invité les futurs habitants à des ateliers au cours desquels ils ont pu définir le contenu de ces espaces interstitiels, avec un budget réservé. En l’occurrence, les habitants ont choisi d’installer une serre. Cela nécessite évidemment un encadrement et une vision générale. Nous avons réitéré l’expérience au sein du programme Le Jardin des Éléments à Villeurbanne.
Pourquoi ne pas utiliser les tramways et les métros, la nuit, pour transporter les marchandises ?
Et plus globalement, à l’échelle de la ville ?
T. R. : Notre rôle est de donner des idées aux élus pour générer une ville synaptique où les thromboses de tous ordres sont évitées. Exemple : pourquoi ne pas utiliser les tramways et les métros, la nuit pour transporter les marchandises ? Sur le site du Grand Parilly, nous avons imaginé qu’un jour les zones de stockage d’Ikea et Leroy Merlin puissent devenir des hôtels logistiques. Nous devons aussi attirer l’attention sur la nécessaire prudence à avoir concernant des sites stratégiques comme les hôpitaux ou les mairies et les rendre autonomes en eau, en énergie et en termes de déplacements. Plus globalement, quand il s’agit de réhabiliter un quartier, je pense qu’il faut prévoir de le rendre autonome. Transformer par exemple une partie des parkings souterrains en réservoir d’eau, créer des micro-réseaux énergétiques… Cette autonomie doit être couplée avec le concept de « ville du quart d’heure » (N.D.L.R. : où tous les services sont à portée de main).
Il est symptomatique de voir que les Parisiens qui s’installent à Lyon visent la Croix-Rousse qui est le quartier le plus dense d’Europe
Et la verdure dans tout ça ?
T. R. : Il faut l’amener à la fois de manière authentique et intelligente. Cela signifie qu’il ne faut pas vouloir recréer la campagne à la ville. Il est symptomatique de voir que les Parisiens qui s’installent à Lyon visent la Croix-Rousse qui est le quartier le plus dense d’Europe ! Le végétal apporte certes un apaisement mais il peut être invasif. On aime bien les abeilles mais moins les frelons… il faut trouver un équilibre.
Qu’en est-il du quartier agréable et durable à la campagne ?
T. R. : Nous menons une expérience actuellement à La Motte- Servolex (Savoie) sur une ancienne carrière où nous créons l’éco-hameau des Granges, près du lac d’Aix-les-Bains et du Technopole. Un endroit accueillant avec tourisme, emploi, facultés, qui a besoin de services. Nous y avons prévu des espaces communautaires intérieurs et extérieurs et des cheminements entre îlots. Nous savons déjà qu’il y aura une bibliothèque, un salon de thé, une crèche, un jardin… À l’extérieur, nous avons aussi laissé un pré qui sera aménagé au fur et à mesure, avec notamment des œuvres d’artistes locaux.
C’est un pari…
T. R. : Oui. Un pari dans le fonctionnement. Mais les ateliers ont permis d’identifier des leaders impliqués qui seront investis. C’est aussi une vision économique : plus on partage d’espaces, plus on s’enrichit. En moyenne, chacun achète 50 m² mais ne dispose personnellement que de 48 m². Le reliquat génère les espaces communs mutualisés. Dans cette configuration, l’anniversaire du petit, on n’a plus besoin d’aller le faire au McDo, on le fait dans les espaces partagés. Même pour les investisseurs, cela donne plus de valeur au logement.
Aujourd’hui, quels sont les attributs de l’habitation durable ?
T. R. : C’est d’abord un logement « refuge » mais c’est aussi un logement pour lequel on a travaillé les espaces interstitiels : les loggias balcons bien sûr mais aussi les montées d’escalier, les halls qui peuvent être des lieux de lien et de bien-être. Un hall peut devenir un salon, une bibliothèque…
Plus on partage d'espaces, plus on s'enrichit
Et du point de vue énergétique ?
T. R. : Il faut aller vers des bâtiments à énergie positive. La géothermie sur sol est un bon ingrédient. Le surcoût doit être compensé par les économies d’énergie. Pour l’avenir, je travaille actuellement au Cheylas (Isère), avec la société Sylfen, pour installer des panneaux photovoltaïques dont l’électricité permettrait d’extraire l’hydrogène de l’eau alimentant ensuite une pile à combustible. Un bon moyen de stocker l’énergie. Et il faut aussi se pencher sur la récupération de l’eau de pluie et des eaux usées…
Et le bureau durable, quel visage a-t-il ?
T. R. : Il est lié, je pense, au mode de management, qui déroule actuellement les considérations de la RSE. Je ne parle pas de la présence d’un baby-foot qui peut être trompeuse. Je parle davantage de labéliser les bâtiments « Osmose » ou « Well » : qualité de l’air, de l’eau, insonorisation… La finalité de l’entreprise, ce n’est pas le bonheur des gens. On ne se réfugie pas dans l’entreprise. En revanche, les salariés doivent pouvoir s’épanouir au travail. Nous avons beaucoup travaillé sur le projet de réhabilitation du siège du Crédit Agricole, à Champagne-au-Mont-d’Or, que nous avons remporté face à de grandes structures internationales parce que nous n’avons pas fait dans le démonstratif. En effet, il s’agissait de répondre aux aspirations d’une banque coopérative. Nous leur avons demandé leur finalité. Et là aussi, nous avons organisé des ateliers avec les salariés. Ensuite, il s‘agit aussi de concevoir un bâtiment très performant, avec de la production d’énergie. Ce n’est pas plus compliqué que pour une habitation. Il faut privilégier la simplicité, le low-tech et travailler sur les usages.
Cet article est issu du hors-série « Territoires durables : Plus belle la ville ! » paru en mai 2023.